• Quel roman!

    Je vais replacer dans cette rubrique des impressions de lecture. Et je compléterai bien entendu avec de nouvelles découvertes ou redécouvertes. En cours Vie secrète de Pascal Quignard, et récemment apprécié: Les beaux draps (Céline), une biographie de Péguy par Daniel Halévy, d'Aragon, par Pierre Daix, et j'ai relu pour la dixième fois peut-être Aurélien (Aragon), toujours avec le même plaisir. Je tiendrai ma promesse de communiquer tout le mal que je pense de Zoé d'Alain Cadéo, pour éviter que de jeunes consciences influençables ne confondent art et démagogie .

     

    Par Hixache dans Journal le 22 Avril 2016 à 17:47

    Je viens de terminer Les Travailleurs de la mer.

    C'est grandiosement épique. C'est Hugo! 

    Les pages d'intrigue sont peu nombreuses. Elle existe, elle est cruelle, comme la vie, comme la femme. Elle est savamment organisée, avec ses rebondissements, ses espoirs suscités habilement dans la conscience du lecteur, ses passages dialogués, ses monologues intérieurs. C'est du grand art!

    Mais là où Hugo excelle, ce sont les pages de méditation sur la nature, sur l'homme, sur Dieu. Au-delà de l'encyclopédisme (vocabulaire fourmillant et précis, sur les vents, la mer, les bateaux, la topographie,...), nous est livrée une foi dans le progrès, dans la domination de l'homme sur la nature, une interrogation sur le finalisme, sur la place de l'homme dans l'univers. Tout cela formulé avec un élan impétueux, dynamique, imagé. Et Hugo a l'intelligence de ne pas disserter, ce sont des impressions enchaînées les unes aux autres, qui finissent par devenir un raisonnement. Habilement, hugolement, l'auteur privilégie les phrases courtes, les paragraphes brefs, les chapitres petits. 

    Au milieu de ce torrent, quelques pages, quelques phrases sont des pépites sublimes (références dans Le livre de poche): 

    - p 334: "L'hypocrite étant le méchant complet, a en lui les deux pôles de la perversité. Il est d'un côté prêtre, et de l'autre courtisane. L'hypocrite est l'épouvantable hermaphrodite du mal. Il se féconde seul. Il s'engendre et se transforme lui-même. Le voulez-vous charmant, regardez-le; le voulez-vous horrible, retournez-le." ... J'en connais!

    p.341: "C'est une chose étrange que la facilité avec laquelle les coquins croient que le succès leur est dû." ... J'en connais!

    p. 617: "La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste." Il y a dans ces pages une analyse lumineuse de différents états dépressifs et de leur évolution, à propos de Lethierry. Très grande finesse.

    p. 662: "La vie est une perpétuelle arrivée; nous la subissons. Nous ne savons jamais de quel côté viendra la brusque descente du hasard; ... La vertu n'amène pas le bonheur, le crime n'amène pas le malheur; la conscience a une logique, le sort en a une autre; nulle coïncidence. Rien ne peut être prévu. Nous vivons pêle-mêle et coup sur coup. La conscience est la ligne droite, la vie est le tourbillon."

    Toute la suite mériterait d'être citée. Je vous y renvoie. Ces phrases retentissent en moi, car ce sont des intuitions que j'ai déjà eues et que ces derniers mois m'ont fait éprouver avec une acuité intense.