• Dans les forêts de Sibérie (on ne se prénomme pas Sylvain impunément, ni l'on ne se nomme Tesson non plus d'ailleurs...)

    21 juin

    Les musiques que je fête sont celles de la lecture et de la nature.

    Je viens de terminer Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson.

    Depuis plusieurs semaines, c'était ma lecture d'accompagnement, j'avais d'autres lectures en cours, mais j'y revenais toujours avec le même plaisir. C'est un des avantages de la forme du journal. Quel intérêt de lire des comptes rendus de pensées, des récits d'un quotidien d'une personne que je ne connais pas ? Écrire pour soi, je le conçois, et l'expérimente moi-même, mais lire l'autre ? « Les livres sont plus secourables que la psychanalyse. » (p.247)

    Celui-ci est magnifique . Il l'est par ses messages explicites et sous-jacents, sans pontification. Par son écriture. Si j'aime ce lignes, c'est notamment que j'y retrouve des pensées et des expériences miennes : « Volume après volume, on se contente de reconnaître la formulation de pensées dont on mûrissait l'intuition. La lecture se réduit à la découverte de l'expression d'idées qui flottaient en soi ou bien se cantonne à la confection d'un tricot de correspondances entre les œuvres de centaines d'auteurs. »( p .268-9) Parmi mes goûts et opinions partagés, je retiendrai cette formule : « Aménageur , passe ton chemin. » (p. 282 ) Si je devais citer ici tous les passages, phrases, sentences, images, qui m'ont plu, je recopierais quasiment l'intégralité du livre…

    Je vois en l'auteur un frère en opinion, exprimée par lui de manière particulièrement éloquente et efficace, une certaine sensibilité au monde. Comme lui je déplore le prométhéisme contemporain qui nous conduit directement à la catastrophe, comme lui, je suis un admirateur de la nature dans tout ce qu'elle nous donne à contempler. Comme lui je ne me retrouve aucunement dans les fausses valeurs de l'artifice, du matérialisme, et de l'immédiateté.

    Les dernières pages ont ajouté une dimension autre à ce sentiment de proximité : Sylvain Tesson apprend que sa compagne, restée en France, le quitte (journée du 16 juin, p.242) : « Et puis, tout s'écroule. […] La femme que j'aime me signifie mon congé. ». Ces évocations de peines d'amour m'ont fait sourdre des pleurs : il est des douleurs vécues qui reviennent chargées d'émotions impossibles à cuver. Toute recherche de sagesse est vaine, toute consolation est impossible, même si l'on peut essayer : « Une femme m'a dit adieu mais des papillons se sont posés sur moi. » (p.288). Rien n'équivaut au bonheur de se savoir aimé par celle qu'on aime, surtout quand elle est une présence, une confiance, une certitude. Le mot « abandon »a un double sens cruel : je me sens tellement bien avec Toi que je m'abandonne à Toi, je te donne tout de moi, sans réserve, sans pudeur, en Amour total ; et quand celle, élue, m'aimant cependant, me quitte, cet autre abandon est d'une cruauté que rien ne réparera jamais. Perte, gâchis, injustice, incompréhension. « Ce soir, ne manque que la femme de mes rêves » (p.286).

    Il faudrait organiser des réunions d'abandonnés anonymes, la solidarité dans la douleur…

    On comprendra donc que le partage d'une telle expérience a renforcé le sentiment de grande proximité éprouvé avec l'auteur de ce journal.

    Le critère stylistique, auquel je suis attaché, plaide aussi la cause de son auteur : il a le sens des images, des formules, justes et denses : il nous invite à imaginer, à penser, et, pour ceux qui n'auraient pas encore compris qu'il est nécessaire, indispensable, urgent, de repenser une manière de vivre néfaste, à réfléchir, et à modifier des comportements, qui selon moi, s'apparentent à de la collaboration avec l 'ennemi, j'ai nommé la recherche de gloire égoïste, le consumérisme mortifère, et la manque de respect dû à notre Terre, notre mère et notre hôtesse.

    Il reste donc à agir, et dans le sens de la préservation des dons reçus.