• Cioran et Maran

    Je replace ici deux comptes rendus de mes impressions de lecture. Comme je n'ai pas de titre approprié, je me contente d'aligner le nom des deux auteurs. Ce qui donne ironiquement... je vous laisse en juger.

    Par Hixache dans Journal le 22 Mars 2016 à 21:14

    Lecture en cours: Cioran: De l'inconvénient d'être né

    A placer aux côtés de La Rochefoucauld et de Chamfort; succession de considérations brèves, fortes, lumineuses ou obscures, générales, et contestables, sorte d'autobiographie de l'être pensant, fragments réflexifs, en-deçà de la philosophie et de la littérature. Matière à méditer. lecture subjective de ce qu'est l'existence.

    Source de sujets de dissertation, ainsi:

    "Il n'est pas d'art vrai sans une forte dose de banalité"

    A suivre...

    J'entame et lirai en parallèle Batouala, roman de Maran, dont j'avais découvert l'existence, non par l'obtention du prix Goncourt 1921, mais par la mention qu'en fait Aragon dans Aurélien.

    J'ai terminé le livre de Cioran, qui confirme les impressions laissées ici au début de ma lecture. J'ajoute la satisfaction d'y trouver des pensées familières, des intuitions, des regards sur la vie, le monde, l'absurde, les relations humaines que j'ai déjà eus.

    Ni philosophie, ni littérature, ouvrage sincère, fort, que j'approche aussi des Essais et des Pensées, dans le passage en écriture de ce qui est profondément ressenti. Pas beaucoup d'aphorismes (un exemple: "Il n'y a pas de sensation fausse.") mais un sens de la formulation efficace, qui invite à la méditation ("On ne désire la mort que dans les malaises vagues; on la fuit au moindre malaise précis"). La définition que Cioran donne  du "fanatisme" s'approche de celle du Dictionnaire Philosophique de Voltaire: "Le fanatisme est la mort de la conversation.On ne bavarde pas avec un candidat au martyre. ..."

    J'ai commencé Batouala. Maran nous plonge dans des consciences africaines au moment de la colonisation. Langue très classique, avec une abondance de mots africains. Peu d'intrigue, des ambiances, des dialogues, des descriptions: "Un moment, l'on entendit plus que le zonzonnement des abeilles. Le frisselis de la brise entre les feuilles donnant l'illusion de leur vol vrombissant, elles étaient déjà loin qu'on les croyait encore présentes."

    Par Hixache dans Journal le 26 Mars 2016 à 09:44

    Batouala (suite)

    L'intrigue, le fil rouge au milieu de rêveries, de descriptions (paysages, rites, danses, scènes de chasse, etc.vues depuis des consciences "nègres") de situations se situe dans un schéma universel de jalousie amoureuse: Batouala ne supporte pas l'intimité qu'il constate entre son épouse préférée Yassiguinda et le jeune et beau Bissibingui. Sorte de roi Marc d'un nouveau type face au couple de la femme et de l'amant.

    La densité des termes africains est importante, parfois traduits, parfois compréhensibles grâce au contexte, donne au lecteur européen une impression d'exotisme, d'étrangeté, qui se trouve aussi évidemment dans la description de paysages, de phénomènes météorologiques, de cérémonies, dans le récit de mythes, notamment celui de la création, le plus souvent intégrés dans des dialogues qui donnent de la vivacité à ces évocations. On trouve notamment décrit un rite d'excision, donné dans sa crudité cruelle, qui m'a rappelé la façon dont Kourouma le narrait dans Les Soleils des Indépendances. Dans ce dernier roman, la victime se révolte face au sort qu'on lui fait subir, ce qui n'est pas le cas ici. La comparaison entre ces deux romans mériterait d'être développée.