• Une économie de 19, 50€: un livre de Lapeyre, l'apporte et fais feu naître

    Par Hixache dans infra-littérature le 23 Février 2016 à 17:02

    Dans le cadre d'une revue étudiante, et d'un concours (voir ci-dessous), je me suis exercé à la critique littéraire. J'ai encadré de considérations complémentaires ma proposition destinée au concours.

    Si j'ai assez de patience et de courage je m'attaquerai bientôt à Zoé, d'Alain Cadéo, du même tonneau.

    Une économie de 19, 50€

    Pour éviter de passer à côté de chefs-d’œuvre d’aujourd’hui, ceux du passé ayant été préalablement triés et à notre disposition, il est bon de temps en temps d’extraire de l’abondante liste des titres dont la presse plus ou moins spécialisée se fait le relais, tel ou tel livre. C’est ainsi que, poussé par l’occasion (un concours Télérama France-Culture), une sollicitation familiale, et l’espoir vain de déceler une perle dans l’océan, je me suis mis à lire La vie est brève et le désir sans fin, de M. Patrick Lapeyre, publié chez P.O.L. comme le nombre de signes était limité pour le compte rendu critique demandé, et que mon irritation était prolixe, j’ai dû me contenter de l’article suivant, que je reproduis ici, n’ayant aucune chance de le voir publié dans mon cher Télérama, une des récompenses promises aux deux vainqueurs, l’autre étant de faire partie d’un jury qui accordera un prix littéraire pour des romans de 2011 :

    Nora Neville fait perdre le nord à un Français et à un Américain résidant à Londres : un coup de ce côté de la Manche, un coup de l’autre. Comme l’auteur a baptisé son personnage principal Louis Blériot, le lecteur a envie de rire ; mais ce roman n’est pas drôle.

    Comme son héroïne, l’auteur est tiraillé , entre narration classique et parti pris moderniste.

    A la première tendance se rattache notamment le goût de la psychologie : pensées, arrière-pensées, songes, méditations, rêves sont décrits par le menu avec une proximité immédiate et transparente ; les protagonistes sont typiques, prévisibles, fidèles à eux-mêmes jusque dans leurs infidélités : un traducteur raté, vivant dans la passivité méditative et alcoolisée, contraint de quémander (il fallait bien que Blériot fît la manche), un trader vieux garçon, vaguement religieux, et une instable : Nora par-ci, Nora par-là, nul doute qu’elle repassera tant elle court. Et des réunions mondaines, des déplacements, des repas…

    Le modernisme se marque dans certains procédés stylistiques : surtout pas de guillemets (mais les indicateurs attitudinaux banals sont bien là), un traitement temporel élastique, mais pourvu de repères pour aider le lecteur, un usage constant du présent (on est toujours « maintenant »), un mélange entre des négligences de style et des tournures élaborées, faussement poétiques.

    Et un abus d’adjectifs et d’adverbes, des tirets incessants, des comparaisons inutiles qui permettent toutes les approximations (« comme si », « on croirait », « à la manière de », « on dirait que » …).

    On n’y croit pas, ce qui pourrait ne pas être un défaut si l’écriture était forte, la construction habile, la narration prenante, la vision du monde originale ; au lieu de cela : «la moindre culotte est faite à l’étoffe des rêves », « on croirait une réunion de Lapons dans l’embarras », ou « Mais quelque part il aime ça »).

    Bref, roman trop petit pour son titre, dont le côté prétentieux aurait dû cependant nous alerter.

     

     Il est vrai que ma fréquentation des grands textes, mon goût classique, et mon exigence naturelle me poussent à repérer très vite et très nettement les failles et les insuffisances ; je crois qu’ici un sommet a été atteint, dans la prétention et l’approximation. Comme les formules à l’emporte-pièce sont légion, je ne peux résister à la tentation de vous en donner en prime d’autres, qui soulignent le vide de la pensée, et du sens de l’écriture :

    -          « Encore qu’en maillot de bain, il soit assez difficile de se faire une idée de la vie intérieure des gens. », phrase dont la construction grammaticale ne correspond pas au sens que l’auteur avait voulu probablement lui donner. En effet je pense que M.Lapeyre a voulu dire qu’il est difficile de se faire une idée de ce que pensent les baigneurs eu égard à leur tenue, mais exprimée ainsi cette phrase dit : quand on est simplement vêtu d’un maillot de bain, on ne peut connaître la pensée des gens.

    -          Des fautes : « Répondra-t-elle pas ? » ; « Passé la surprise, … » ; des tours et des vocables à la mode : « quelque part », « en fait », « improbable »,  « elles hallucinaient », qui sont déjà agaçants à l’oral, mais employés sciemment dans la cadre de la narration sont aussi indigestes qu’une semoule qui aurait mal passé l’hiver (pastiche lapeyrien, … pour attendre).

    -          Une autre comparaison ridicule et lourde (parmi cent) sur le mode : « aussi+ adverbe+ que + comparaison : « … aussi instantanément que si dans une vie antérieure il avait été prestidigitateur. » Pour l’élégance, la finesse, et l’évocation de la rapidité, on repassera. Ou bien : « … aussi inopinément que si dans un parc zoologique il avait été dompteur » ; avec un adjectif : « aussi animé que le désert de Gobi », «  … lui paraît aussi interminable qu’un trottoir roulant », et pourquoi pas « aussi stable qu’une chaise » ?

    -          Les « à la manière de », « comme si », « lui semble plus …  que … », « on croirait … », « a l’air de … » du genre « ce livre me plaît moins qu’une charlotte à la framboise » permettent toutes les approximations. On trouve par exemple –et cette fois je n’invente pas- «  à la manière d’une paysanne russe filmée par Eisenstein », ou bien « à la manière d’une puce électronique », « … d’un ectoplasme en suspension », et pourquoi pas : « à la manière d’un pou soviétique vu de dessous » ? (il m’inspire, le bougre !)

    -          Comme l’époque le veut, nous avons droit à des scènes de lit à l’érotisme convenu, à des tendances homosexuelles aussi bien  chez l’une que chez un ami de l’autre ;  à  des accusations contre les patrons, forcément des « scélérats », mais dans le cadre d’une image qui vaut son pesant de ridicule : « Selon toute apparence, l’été aussi est définitivement parti, comme ces patrons scélérats qui mettent la clef sous la porte pour filer sous les tropiques ». C’est là le paragraphe-type de l’ouvrage ; on y appréciera l’audace politique, et la justesse de la comparaison.

    -          Et l’on marche dans les rues, on mange au restaurant, on roule en voiture, on discute, on va à la piscine, à l’hôtel, à la plage, on dort dans un lit, on va voir sa maîtresse… N’est pas Flaubert ou Aragon qui veut pour savoir donner de l’intérêt à ces moments de vie : ici la platitude le dispute à la niaiserie.

    -          Pour paraître cultivé, l’auteur fait des références à des artistes (Duchamp, Pirandello, Calvino, Picabia, …), use de mots savants nullement justifiés : « surérogatoire », « pélagismes », « natatoires », « mnémoniques », « mandibuleux », … Pédant, en plus…

     

    Expérience douloureuse fut donc cette lecture superfétatoire, aussi pénible que de tomber dans un bac de granulés pour chien claudicant et diarrhéique, qu’aurait peint Donatello, avec un pinceau aussi effilé que la moustache de la Joconde revue par Duchamp. Mais il faut absolument que je cesse : je suis en train de me lapeyriser ; on ne pourrait plus dire alors : « Lapeyre, … »