• Relire (ou lire) les Satires de Boileau

    Quel régal! Quelle belle langue, pleine de vivacité, de drôlerie, de pertinence! Quel plaisir, décuplé par l’expérience déjà évoquée ici d'y retrouver des impressions, des opinions, des pensées miennes! L'alexandrin de Boileau est une merveille: il paraît naturel, spontané, ses rimes sont ingénieuses, pleines de sens tout en coulant de source.

    Comme lui, je dois subir des remarques sur ce que j'écris, et, à ma manière j'ai eu l'occasion de dire et de répondre à ceux qui, me lisant, se font mal: "Un livre vous déplaît: qui vous force à le lire?" (satire IX, vers 88).

    Comme lui, je dis à mes détracteurs à bricoles qu'ils ont la chance d'accéder par moi à la notoriété.

    Comme lui, je renvoie chacun à son jugement, et ne saurais forcer quiconque à m'approuver.

    Comme lui, je me moque d'écrivains médiocres, se prenant pour de nouveaux Chateaubriand ou Molière, admirés de thuriféraires béat.e.s, n'ayant aucun sens du beau et du fort (mais rien ne sert d'en faire un fromage): tout le monde a le droit de se tromper et de préférer McDo à la gastronomie de qualité.

    Comme lui, je trouve les animaux moins stupides que les hommes: remarquable Satire VIII ("Sur l'homme"), à lire absolument, d'autant plus que l'urgence de sauver le monde n'était pas si criante à l'époque. Il y dénonce les guerres imbéciles, les modes, le commerce, le goût de l'inutile, de la dispute vaine, de l'appropriation injuste, ...

    La satire ... sur les plaies des cicatrices mal recousues.

    Un passage pour donner idée de ce style vif et juste pour exprimer des sentiments et des idées qui sont tout autant justes et vifs: satire VII, vers 69 à 96. 

    "Pauvre esprit, dira-t-on, que je plains ta folie !
    Modère ces bouillons de ta mélancolie ;
    Et garde qu'un de ceux que tu penses blâmer
    N'éteigne dans ton sang cette ardeur de rimer.
    Hé quoi ! lorsqu'autrefois Horace, après Lucile,
    Exhalait en bons mots les vapeurs de sa bile,
    Et, vengeant la vertu par des traits éclatants,
    Allait ôter le masque aux vices de son temps ;
    Ou bien quand Juvénal, de sa mordante plume
    Faisant couler des flots de fiel et d'amertume,
    Gourmandait en courroux tout le peuple latin,
    L'un ou l'autre, fit-il une tragique fin ?
    Et que craindre après tout, d'une fureur si vaine ?
    Personne ne connaît ni mon nom ni ma veine :
    On ne voit point mes vers, à l'envi de Montreuil,
    Grossir impunément les feuillets d'un recueil.
    A peine quelquefois je me force à les lire,
    Pour plaire à quelque ami que charme la satire,
    Qui me flatte peut-être, et, d'un air imposteur,
    Rit tout haut de l'ouvrage, et tout bas de l'auteur.
    Enfin c'est mon plaisir ; je veux me satisfaire.
    Je ne puis bien parler, et ne saurais me taire ;
    Et, dès qu'un mot plaisant vient luire à mon esprit
    Je n'ai point de repos qu'il ne soit en écrit :
    Je ne résiste point au torrent qui m'entraîne.
    Mais c'est assez parlé ; prenons un peu d'haleine.
    Ma main, pour cette fois, commence à se lasser.
    Finissons. Mais demain, Muse, à recommencer."