• Le miroir qui revient (Robbe-Grillet)

    Lecture très agréable, ouvrage autobiographique sans organisation apparente, composition lâche, liberté de l'écrivain qui laisse aller sa plume dans diverses directions. Succession de fragments centrés sur tel ou tel souvenir, ou groupe de souvenirs, parfois fantasmés, parfois très crédibles. Pas de souci chronologique, un fil rouge : l'histoire d'Henri de Corinthe, qui hante l'ouvrage comme son image semble avoir hanté l'enfant. Beaucoup d'affection pour ses parents, surtout pour sa mère, dont il fait un portrait émouvant, elle est au cœur d'anecdotes savoureuses. La vie à la maison, ou à l'école d'un enfant, comme on en attend légitimement dans les récits autobiographiques. Des liens sont établis avec les livres ou les films commis par l'auteur : mine de renseignements qui illustrent le fait que son cinéma et ses romans n'ont pas la froideur qu'on leur reproche souvent. Des pages très fines de critique littéraire sur La Nausée et sur L'Étranger. D'autres sur le genre romanesque et son évolution. De belles analyses politiques quant au pétainisme.

    Savoir-faire de conteur à l'écriture alerte. C'est à la fois très écrit et chaotique, les fragments sont habilement et agréablement stylisés et composés.

    Certains passages m'ont fait sourire, dans les échos que j'y trouvais avec une actualité immédiate :

    « Malheureusement, nous avons vu ensuite le candidat en question, devenu notre monarque, prendre au contraire très au sérieux des promesses où beaucoup de ses amis, jusque-là, ne discernaient que de vagues spéculations à usage électoral, des idées abstraites d'opposant, qu'il faudrait bien réviser de fond en comble au moment de leur éventuelle mise en pratique. » (p.65-66, Éditions de Minuit)

    « Le maréchal Pétain, c'était pour lui le combattant de 14, c'étaient les tranchées, c'était Verdun, c'était le lent redressement de nos armées au moment du plus grand désespoir, et la victoire enfin. La signature de l'armistice, en 1940, était aussi portée à son actif de sagesse et de courage, alors qu'il n'avait aucune part dans la défaite. La poignée de main historique, à Montoire, montrait surtout l'honnêteté du soldat. » (p.113)