• Comme le livre de Régis Debray récemment abordé ici, c'est aussi un journal (années 80), et des réflexions issues de rencontres, et de dialogues rapportés. Ce type d'ouvrages n'a d'intérêt qu' à deux conditions : la pertinence des considérations, et leur soutien par un style agréable à lire. Comme Alain Bosquet est romancier, poète, critique reconnu, qu'il est sensible à tous les arts, qu'il a beaucoup voyagé, connu une vie pleine d'activités diverses, on ne pouvait en attendre moins : « que la France met d'acharnement à ne plus penser, à ne plus être, à ne plus se révolter contre la médiocrité !». Il sait résumer pertinemment : Aragon est ainsi défini : « pas assez analphabète pour être tout à fait dadaïste, pas assez écervelé pour être tout à fait surréaliste, pas assez obéissant pour revêtir le carcan jdanovien ». De plus il a fréquenté les plus grands (Breton, Aragon, Michaux, Saint-John Perse, Sartre, Michaux, Paulhan, et de nombreux autres écrivains notoires), dont il fait des portraits, et dont il rapporte les propos (conversations, ou correspondance). Pour cela, il se sert de carnets de notes, qu'il restitue. Comme de Beauvoir, il ne compte pas que sur sa mémoire, et documente ses propos en s'appuyant de ses propres sources. Les limites de l'exercice se situent dans cette restitution : des personnes citées tiennent parfois des propos qui ne les honorent guère (Dali), qui étaient tenus dans l'intimité d'une conversation confiante et débridée. Savaient-ils qu'un jour, ceux-ci sortiraient du cadre amical ? Il évoque aussi la vie politique, ses propres obsessions, son existence personnelle, et donne des avis souvent péremptoires (musique, peinture, roman, poésie). Il a le dégoût cinglant (Char, « le faux philosophe du Vaucluse », il trouve Le Roman inachevé d'Aragon rempli « de vers mal fagotés »), et des idées sur la littérature, une vraie mine si je manquais d'idées pour des sujets de composition française ! Une définition, par exemple, qu'il ne s'attribue pas, mais qui lui convient : « La culture est le plus court chemin d'un homme à un autre. »

    Un auteur qui mentionne Cadou, qui dit : « Je constate que je pardonne à mes proches mille défauts humains, mille mesquineries de caractère : je ne pardonne rien, sur le plan esthétique . » et aime les arbres, ne saurait être mauvais.

     


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    Quand on le lit, on l'entend : ses interventions, trop rares, lors d'émissions de radio, font que son phrasé, sa voix douce et pleine de distance gentiment ironique, se retrouvent dans les mots, les rythmes des phrases, la façon d'avancer dans le raisonnement à l'écrit. On a donc la version papier, et surimposée la version audio simultanément. Cela tient au fait aussi que R.Debray écrit comme il parle, ou bien parle-t-il comme il écrit. Le sous-titre de l'ouvrage justifie en partie ce ton libre : « Journal en clair-obscur » ; « Journal » en effet, aussi parce qu'il s'appuie sur des événements contemporains de l'écriture comme planche d'appel pour de nouvelles réflexions. Il est un penseur génial, d'une culture vaste, et qu'il appelle à propos pour étayer ses démonstrations . Quant au « clair-obscur », il fait probablement référence au centrage sur le XVIIIe siècle français, et les débats, encore vifs en 2019-2020, concernant le bilan qu'il convient de tirer de cette période, dans ses répercussions. Et comme A.Finkielkraut, avec qui il se livre lors de « Répliques » pétillantes, à un sublime numéro de duettistes, il goûte la nuance, ni admirateur béatement idéologue, ni contempteur « anti-Lumières » déclaré, il fait la part des choses et propose une lecture mitigée, s'en prenant à ceux qui se réclament de l'héritage de Voltaire, sans bien le connaître.


  • Encore un livre que j’avais lu il y a bien longtemps et dont il ne m'était rien resté. Quand j'ai passé en revue les livres de ma bibliothèque, son titre m'a tiré l’œil, probablement parce qu'il répond à un vœu personnel et circonstancié. C'est aussi celui de la première nouvelle de ce recueil qui en compte treize. Elles sont étranges, parfois proches de celles de Tchekhov, quand elles semblent ne mener à rien, ou dans une autre mesure quand elles ressemblent à celles de Kafka .

    « comme son pouvoir grandissait, je commençais de prendre conscience que les règles prescrites, les exhortations, les interdictions, toutes les formes de pression exercées sur les citoyens reflétaient de plus en plus fidèlement certains traits de son caractère, si bien qu'en se fondant sur ces lois et décrets il était possible de reconstruire sa personnalité, comme on imaginerait une pieuvre par ses tentacules... »

    On ne saurait mieux dire !

    Un peu plus loin :

    « Mais, qu'on le veuille ou non, il impressionnait par sa médiocrité comme d'autres par leur talent. »

    Idem...

    « Il faisait allusion à de mystérieux ennemis, polémiquait à loisir contre quelque poétaillon dont il avait découvert les vers dans un almanach... »

    Euh...

    « Il n'y a rien en moi du héros au cœur civique qui meurt pour son peuple. Je ne péris que pour moi-même, au nom de mes propres conceptions du bien et de la vérité – le bien et la vérité qui sont aujourd'hui déformés, violés, à l'intérieur et à l'extérieur de moi ; et s'ils sont aussi précieux pour quelqu'un d'autre, tant mieux ! Sinon, s'il faut à ma patrie des hommes d'un caractère différent du mien, j'accepte volontiers mon inutilité, mais n'en remplirai pas moins ma tâche. »

    Certaines nuances seraient à apporter ici...

    « À relire ma chronique, je m'aperçois qu'à force de vouloir dépeindre un être terrifiant, je ne suis parvenu qu'à le rendre ridicule. »


  • Le type de roman qu'on a lu, et dont on en a quasiment tout oublié.

    Entre Flaubert et Zola, bien inférieur à l'indépassable À rebours. Mais bien écrit, dans un style qui traduit une approche cynique des relations humaines, sans illusion. Certains passages descriptifs et urbains rappellent Balzac le Gogol de La perspective Nevski. Parfois on dirait du Céline par anticipation :

    « Alors ils regardèrent, sans plus dire mot, des mioches avec des chemises s'envolant des pantalons, des épaules en pente, des mines rachitiques, des trous secs de scrofules au cou ; ils s'apitoyèrent presque devant des rouleaux de chairs rouges, empaquetés dans des langes, tenus par des galopines, des rouleaux gigotants d'où s'échappaient des cris, de l'urine, des larmes. »

    Huysmans aime inventer des mots, ou en choisir de rares désuets. Si l'on veut affiner et enrichir son vocabulaire, on les note, on les garde dans sa mémoire, ne serait-ce que pour leur côté précieux ou original (glavioter, putrider, inexaucé, désassis, la crise juponnière, navrement, concubiner, girie, méprisamment, dégoulinis, flânocher, tictaquer, gluer, électuaire, badauder,...)

    Ce que dit le personnage des « jeunes filles » :

    « physiquement : un éventaire de gorges pas mûres et de séants factices ; moralement : une éternelle morte-saison d'idées, un fumier de pensées dans une caboche rose ! »,

    de « l'éternel féminin » : « toute la femme était là, honnête ou non, qui juge naturel de soutirer à l'homme de qui elle dépend, qu'il soit son père ou son entreteneur, autant de monnaie qu'elle peut en prendre. »,

    d'une épouse (qui fait penser à Emma Bovary) : «Elle avait les bourdonnements et les harcèlements insupportables d'une mouche et son mari ne pouvait ni l'écarter, ni se plaindre, car jamais elle n'était dans son tort. ». Après l'adultère : « Devant l'amant comme devant le mari, l'émoi des sens avorta, la bourrasque tant attendue ne vint pas. »

    Un exemple de trouvaille phrastique qui fait mouche :

    « Et André se levait, se penchait sur la balustrade, assistait, au fond d'un puisard, à la lente agonie d'un géranium. »

    Une vision très masculine, enfin, issue d'un certain type d'hommes, qui irriterait profondément les hystérico-féministes d'aujourd'hui, qui intenteraient probablement un procès posthume à l’auteur, si elles lisaient et, quand bien même, si elles avaient le sens de la création littéraire et de la relativisation. Mais les idéologues sont rarement dotées d'ouverture d'esprit...


  • Je reprends ici cette chronique, en ces temps de disette occupationnelle, donc de lecture retrouvée, toujours plus intéressante que les écrans. Dans la journée, quelques heures de lecture, et de partage avec ses proches, quand c'est possible, sur les livres en cours. Je vous invite à retourner à mes articles précédents dans cette rubrique, et j'essaierai chaque jour, de vous donner envie, en quelques mots, de lire un ouvrage ... littéraire: tant qu'à lire, autant choisir la qualité! Je (re)commence avec une pièce de Giraudoux.

    C'est un Maeterlinck qui serait devenu bavard, un Claudel en moins mystique et en plus drôle. C'est poétique en diable, shakespearien sur les bords, giralducien au milieu, surprenant toujours, inventif, allusif, mystérieux.

    NB Je recommande la version filmée avec la jeune Adjani, celle du « petit chat est mort », avant qu'elle ne se promène toute nue lors d'un certain été, devant tout le monde, notamment le pas très pimpant Pin Pon, pompier peu poupin. Pardonnez ces jeux de mots « faits d'eau » pour éteindre cette évocation brûlante.





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