• Faut pas jouer au riche… ou N’osez Zoé ou Un air de Zoé fait Zéro

    « Je trouve ça nul les romans. C’est chiant … Même un navet je me régale » (p.42)

    « Le lecteur n’est pas nécessaire. » (p.102)

    Je tiens parole. Ce fut dur, mais je vous propose quelques remarques sur Zoé, d'Alain Cadéo. Le livre se suffit à lui-même pour s'auto détruire, mais ainsi je fais oeuvre de salubrité publique en vous invitant à l'évitement.

     

    De même que répondre aux médiocres avilit, critiquer ce type de livre pourrait être une dépense d’énergie inutile, si n’était en jeu la tromperie à la qualité qui conduit des ignares à s’ériger en connaisseurs et à vanter auprès de jeunes personnes ce qui ne vaut aucune considération littéraire.

    Le livre de M.Cadéo ne possède en effet aucune qualité qu’un lecteur exigeant est en droit d’attendre de la Littérature. Il conviendra peut-être aux  admiratrices des Lévy, Musso, Barbéry, …

    L’auteur a probablement lu, mais ne propose qu’un exercice de style, bavard, prétentieux, inutile, digne d’un effort d’adolescent. Il picore de-ci de-là des traits d’auteur mais aucune personnalité ni profondeur ne se font jour. Tout respire le faux, le superficiel, la volonté de brillant, mais ce n’est que clinquant. Verroterie de bazar.

    Ainsi il emprunte à Céline l’autorisation aux mots vulgaires (voudrait-il choquer le bourgeois ?), à Giraudoux, ses combinaisons entre une écriture apprêtée et des expressions populaires  (« Il aimerait les faire à pied ces kilomètres, mais sa « putain de jambe » ne le laisse plus aller comme un félin sur les chemins de ses envies. » p.109) ; à Gide ses changements de focalisation et de narrateurs internes,  le choix de faire du personnage principal un écrivain qui commente ses actes de création ; aux Surréalistes l’association de mots incongrue, mais à volonté manifeste de faire effet (« le café noir de ma mélancolie », p.67), ce qui aboutit à une pseudo-poésie affligeante : « Je capte les syllabes venues du fond des temps, ce morse à la chair de cerise, vivant toujours et palpitant dans la glace sucrée des étoiles . »  (p.68), à P. Lapeyre ( !) ses phrases pompeuses, risibles tant elles sont ridicules : « Henry de son côté, qui ne s’appelle Henry que pour Zoé, rumine son existence avec la méthodique mastication d’un pachyderme. » (p.85) ou « C’est comme un lent tâtonnement, un buisson d’hortensias dans une froide cour d’école abandonnée. » ; à M.Barbéry ( !-bis) la description de la surdouée, celle-qui-malgré-son-jeune-âge-capte-tout-et-mourra-précocément-que-la-vie-est-injuste.

    Je dédie cette critique tout spécialement à la personne (elle est bien la seule dans Lille) à avoir cru Zoé un chef-d’œuvre. Mais il faut vendre dis ! Que de faux ! Etre zoéphile est un outrage à la littérature. Je m’autorise ces astuces verbales, invité par l’auteur : Marine (la sœur surdouée et morte) lit Robinson Crusoé (p.105), Zoé est une Robinsonne, dans son île (p.29), et le narrateur solitaire  a trouvé en Haril son Vendredi.

    M.Cadéo se regarde écrire, s’admire en écrit-vain.  Nombriliste de l’écriture, il multiplie les effets de langue, prétentions acnéiques. Séduction tapineuse qui ne peut séduire que des béats bah ! Il se fait plaisir narcissiquement : que ma trouvaille est géniale, que ma pensée est haute, que ma profondeur me sidère moi-m’aime… Cela se manifeste dès l’épigraphe, qui serait légitime, si la nullité n’était au rendez-vous des pages que l’on tourne : Jean de la Croix comme bannière, insulté par la revendication profanatrice, caution oxymorique et cuistre. Entre cette sainte citation et le  début du roman, l’auteur a glissé une fable animalière et mystérieuse entre un bouc, forcément plein de désirs, et une chèvre forcément attirante,  récit situé dans le gouffre de Santa Madonna… Et vient l’ouverture du roman, phrase digne d’appartenir à toutes les anthologies du mauvais goût : « Zoé a un cul de  Madrilène » (p.15), et très vite, si l’incipit ne vous a pas fait jeter au loin l’ouvrage, vous vous apercevez de la lapeyrisation de l’écriture qui consiste à associer arbitrairement et pseudo-poétiquement des données disparates où l’imagination le dispute à l’insignifiance : « Si un savant fou avait le truc pour collecter cette énergie, nos centrales nucléaires feraient figure de sinistres clapiers dédiés aux courants d’air . » (p.26), ou « ça me donne envie de courir, de partir, comme le petit cheval de manège qui découvre sa liberté devant l’immense plaine de la Patagonie. » (p.139). Les qualificatifs sont surabondants, les comparaisons sont insensées, comme p.89 « Une avalanche de désirs avoués, comme une guirlande de casseroles lui dégringolant sur la tête. » Lui qui évoque un « sac de poncifs » (p.123), il les collectionne, ainsi Haril : « sous l’écorce rude du guerrier se cache une âme tendre. » (p.133)

    L’usage abusif des guillemets est une autorisation que l’auteur se donne à toutes les approximations ou fausses audaces, aveu d’imperfections assumées : « pétantes » (p.16), « bien en chair » (p .17),  « se recharger » (p.82), « se lâchent » (p.115), « terrible »(p.129), « sonnant et trébuchant », p.133), etc. ; l’abus d’imprécisions : « une espèce de» (p .95), ou « certain» (p.82, 83) confirme ce style approximatif.

    De manière transparente, l’auteur utilise son personnage pour parler de lui, évidemment l’un est aussi narcissique que l’autre, puisqu’ils se confondent. Les premières personnes sont outrageusement nombreuses et insistantes, et quand il ne se complaît pas dans l’autoportrait flatteur (« Je me fais penser à .. . » ou « Je me  fais l’effet de … » p.109 et 125, « Moi, vieux Minotaure, … p.144, « shérif », « rhino », …), l’auteur passe par ses créations-personnages pour s’entendre louer ou citer (p.126, par Zoé, qui lui voue une admiration idolâtre). Il passe par elle pour s’auto-congratuler « Lui, je l’aime, parce qu’il est vieux et solitaire et qu’il ne m’a apporté que du bon. … Ce qu’il écrit me fait rêver » (!!!) p.138. Il se décrit en écrivain génial (p.143) : « mes mots ont la maigreur de chiens faméliques poursuivant au flair, dans un désert, le rêve d’une proie invisible » (p.145), se montre en cours de création. Il faudrait citer le passage de la p.100, où l’on trouve par exemple : « Chaque page est un nouveau départ ». S’ensuit une métaphore outrageusement filée qui associe l’écriture à la locomotive. Et le comble du filandreux ne manque pas d’arriver un peu plus loin « Son (il s’agit de l’écriture, précision nécessaire) processus de sculpture incantatoire se dilue dans l’air ambiant et voyage au cœur des vents pour se répandre en gouttelettes sur la peau des souffrants. »

    Les prétentions philosophico-poétiques tombent à plat : le summum se situe p.134 : « Au fond l’humain n’est beau que parce qu’il est tragique. Il devient fascinant lorsque silencieux et en conscience il précipite son destin. Enfin, il est lumineux, lorsque au  (sic) prix d’un dur travail au quotidien, il transcende sa condition et s’invente d’autres trajectoires. »,  « chaque existence nécessite un sacré travail de couturier. » (p.85). Les dernières pages du roman (avant le retournement final qui nous fait comprendre que Zoé n’était qu’un fantasme du narrateur principal), sont un enfilage d’affirmations mièvres (« Nous sommes de doux cargos fantômes, soutes pleines, perdus au beau milieu d’un océan, qui cherchent (sic) désespérément un port d’attache pour alléger nos coques. » (p.142). L’aveu de nébulosité est assumé quand, quelques lignes plus bas ( !), on lit : « mes écrivains préférés, ce sont les nuages. » Le moralisme est lénifiant, au (dé)goût du jour : conseil du sage à sa protégée ; « ne pas renoncer à ce que vous êtes en profondeur » (p .97), « La vie est un cadeau de chaque instant.» (p.113).  Une autre : « Quoiqu’il arrive nous devons nous battre pour préserver notre aptitude à la Joie. »(p.98)

    Et ces fautes, non seulement de goût, mais de langue : nous ne comptons plus les « si il », on trouve « nous … on », « avec »  employé absolument, confusion entre « vieillerie » et « vieillesse », l’écrivain plonge son stylo dans un flacon d’encre (p.99). Zoé passe « je ne peux » à « je sais pas ».

    Bref, c’est négligé, facile, infra-littérature pour midinettes. Aucune profondeur, facilité, air du temps, mièvrerie, démagogie triste,  faiblesse à tous les étages.

    « Il faut qu’un galant homme ait toujours grand empire

    Sur les démangeaisons qui nous prennent d’écrire ;

    Il doit tenir la bride aux grands empressements

    Qu’on a de faire éclat de tels amusements. »