• "De la cour"

     Je retrouve avec satisfaction ces quelques lignes de mon cher La Bruyère:

    "Vient-on de placer quelqu'un dans un nouveau poste, c'est un débordement de
    louanges en sa faveur, qui inonde les cours et la chapelle, qui gagne l'escalier, les
    salles, la galerie, tout l'appartement : on en a au-dessus des yeux, on n'y tient pas. Il
    n'y a pas deux voix différentes sur ce personnage; l'envie, la jalousie parlent comme
    l'adulation; tous se laissent entraîner au torrent qui les emporte, qui les force de dire
    d'un homme ce qu'ils en pensent ou ce qu'ils n'en pensent pas, comme de louer
    souvent celui qu'ils ne connaissent point. L'homme d'esprit, de mérite ou de valeur
    devient en un instant un génie du premier ordre, un héros, un demi-dieu. Il est si
    prodigieusement flatté dans toutes les peintures que l'on fait de lui, qu'il paraît
    difforme près de ses portraits; il lui est impossible d'arriver jamais jusques où la
    bassesse et la complaisance viennent de le porter : il rougit de sa propre réputation.
    Commence-t-il à chanceler dans ce poste où on l'avait mis, tout le monde passe
    facilement à un autre avis; en est-il entièrement déchu, les machines qui l'avaient
    guindé si haut par l'applaudissement et les éloges sont encore toutes dressées pour le
    faire tomber dans le dernier mépris : je veux dire qu'il n'y en a point qui le
    dédaignent mieux, qui le blâment plus aigrement, et qui en disent plus de mal, que
    ceux qui s'étaient comme dévoués à la fureur d'en dire du bien."