• On a bloqué les issues de secours,

    On fait des discours mais pas de recours.


  • Faut-il être dégénéré

    Pour ne savoir apprécier

    Les grâces et les dons reçus

    Qui s'offrent gratuits à la vue?

    L'homme détruit assidûment

    Tout ce qui est beau et charmant;

    Préfère-t-il donc son béton

    Si terne, si neutre, et si con?

     


  • Se contraindre à se lever matin, c'est facile,

    Obéir aux obligations du quotidien,

    Essayer de se rendre utile à son prochain,

    Toutes tâches aisées de volonté servile .

     

    Accomplir ses devoirs sociaux utiles,

    Accepter certaines lois de l'aveugle destin,

    Relever la tête devant les vils crétins,

    Demande du jugement, mais n'est pas difficile.

     

    Il est une force qu'on ne commande pas,

    Elle est en moi pourtant, et sur moi prend le pas,

    Je la situe confusément dans ce que j'ai

     

    De plus vrai, de plus intime, comme une flamme,

    Ce doit être cela qu'on nomme parfois l'âme,

    Ou loi du cœur, je ne saurais y résister.


  • Certains jours, l'envie me saisit, que je réprime,

    De faire exploser tout ce que mon cœur comprime.


  • André Breton, qui n'aimait pas le roman lors des sa période papesque surréaliste, préface en 1955 celui de Darien Le voleur, quand ce titre oublié refait surface. Il avait connu une première parution en 1897. Mystère des succès a posteriori. C'est bien un roman au sens traditionnel du terme, par son ampleur, ses nombreux personnages, son intrigue, assez lâche il est vrai, son respect d'une chronologie bien marquée. Le choix de la première personne narrative permet au lecteur de suivre la quotidien du protagoniste fait de rencontres de toutes sortes, de vols bien entendu, de dialogues et de méditations. Le hasard et les invraisemblances ne gênent pas, c'est là le lot des imaginatifs. Ce qui a dû plaire à l'auteur d'Aurélien ce sont les propos anarchistes, libertaires, cyniques, donc clairvoyants tenus sur l'hypocrisie sociale, l'injustice, les valeurs qu'on prône pour faire tenir une société sur des bases aussi conventionnelles que fausses. Entre cent exemples, ces quelques lignes tirés de la page 212 (éditions Julliard) :

    « Par le fait de la soumission à l'autorité infinie de l'État, l'activité morale ayant cessé avec l'existence de l'individu, tous les progrès accomplis par le cerveau humain se retournent contre l'homme et deviennent des fléaux ; tous les pas de l'humanité vers le bonheur sont des pas vers l'esclavage et le suicide. Les outils forgés autrefois deviennent des buts, de moyens qu'ils étaient. Ce ne sont plus des instruments de libération, mais des primes à toutes les spoliations, à toutes les corruptions. Et il arrive que la machine administrative, qui a tué l'Individu, devient plus intelligente, moins égoïste et plus libérale que les troupeaux de serfs énervés qu'elle régit ! »

    Ce type de réflexions se trouve en grand nombre dans le roman, lui sert de colonne vertébrale, et l'on oublie volontiers les heurs et malheurs du narrateur, pour sourire intérieurement devant ces analyses si justes et si fines, et les points communs avec avec notre société triste du XXIe siècle sautent à l'entendement. Les accusations portées à l'encontre du monde bourgeois rendent acceptables les vols dont les cambrioleurs se rendent coupables. Notre sympathie leur est acquise.

    Ce roman, d'un point vue technique, est à la croisée de Balzac, notamment quant il s'agit de mettre à nu les rouages du fonctionnement social, et de Céline, pour la clairvoyance, l'énergie, le désabusement, au vu de toutes les manifestations de la médiocrité des hommes.

    Un autre extrait, pour le plaisir (page 211) :

    « Des gouvernements aussi, entreprises anonymes de captation, comme l'autre, despotismes tempérés par le chantage ; des gouvernements auxquels le gouverné reproche sans trêve, comme à l'autre, leur immoralité. La Révolution prend l'aspect d'une Némésis assagie et bavarde, établie et vaguement patentée, qui ne songe plus à régler des comptes, mais qui fait des calculs et a troqué le flambeau de la liberté contre une lanterne à réclames. En haut, des papes, trônant devant le fantôme de Karl Marx ou le spectre de Bakounine, qui pontifient, jugent et radotent ; des conclaves de théoriciens, de doctrinaires, d'échafaudeurs de systèmes , pisse-froid de la casuistique révolutionnaire, qui préconisent l'enrégimentation – car tous les groupements humains sont à base d'avilissement et de servitude ; - en bas, les foules, imbues d'idées de l'autre monde, toujours disposées à prêter leurs épaules aux ambitieux les les plus grotesques pour les aider à se hisser dans ce char de l'État qui n'est plus qu'une roulotte de saltimbanques funèbres ; les foules, bêtes, serviles, pudibondes, cyniques, envieuses, lâches, cruelles – et vertueuses, éternellement vertueuses !

    C'est bien vu, très bien exprimé (quelle verve!), et tellement adaptable à nos temps macronisés d'hypocrisie généralisée, où à la bêtise des masses répond la vanité des élites.