• ... Et je dois composer avec l'absence d'Elle ...

    ... Mon âme amante, ma muse aimante, mon Elle ...


  • Roman historique petit par la taille, mais grand par le talent de son auteur, romancier au renom mérité. Nous sommes plongés dans un quatorzième siècle qui nous devient vite familier, dans un village des Balkans, du côté de l'Arberie (ancien nom de l'Albanie, pays de l'auteur). Le regard vient d'un narrateur, moine chroniqueur, très ancré dans le village, et au château, très savant, conscient des enjeux territoriaux, politiques, religieux, qui pose un regard aiguisé sur un projet , peu à peu réalisé, de construction d'un pont devant remplacer un gué pour relier les deux parties du village, séparées par la rivière « l'Ouyane maudite ».

    Cette réalisation fait naître des rivalités, des débats, des oppositions : peurs devant la modernité, le changement, ou espoirs d'une amélioration. Entre les perdants de cette esquisse symbolique de mondialisation (il s'agit aussi de favoriser le commerce à une échelle beaucoup plus vaste), représentés ici par la compagnie des « Bacs et radeaux », qui prospérait jusque là, et les progressistes, mais aussi les profiteurs futurs d'un péage lucratif, la lutte est rude. Kadaré, par son narrateur interposé intègre la dimension économique du conflit. Tous les moyens sont bons (ou mauvais) pour convaincre la population du bien, ou du mal-fondé de l'infrastructure. On convoque aussi Dieu, les esprits, les prophéties, les rêves les puissances occultes de la rivière. Le conteur est un érudit qui sert notamment de traducteur entre le seigneur local et les concepteurs, il fréquente ainsi les divers milieux, puisqu'on le voit frayer également avec des villageois.

    Le récit respecte scrupuleusement la chronologie, matérialisée par l'écoulement des saisons, les phénomènes météorologiques, l'avancée et les retardements des travaux ; l'un des ressorts dramatiques se situant dans l'incertitude quant à l'achèvement tant les aléas sont nombreux : ce que les ouvriers font le jour, des opposants le défont la nuit. S'ajoute ici un agrément policier : comme la narration est interne, nous accompagnons le moine dans ses interrogations sur l'identité du coupable . Interviennent des personnages aux caractéristiques variées : le comte, sa fille malade, qu'il lui faut marier, l'architecte et son second, l'idiot du village, la vieille, dépositaire de la mémoire des lieux. Les dialogues sont hauts en couleur, et restitués de manière diverses. Certaines scènes sont surprenantes, en particulier quand le coupable présumé est emmuré dans la première arche du pont.

    Au-delà de cette chronique, en filigrane, Kadaré laisse entrevoir de vastes problèmes dont son roman est une métaphore : ce que l'on présente comme un progrès nécessaire et inéluctable apporte aussi sont lot de malheurs : est-il indispensable de bâtir des ponts pour le grand profit de compagnies capitalistes ou étatiques, ou invitant les ennemi à envahir plus facilement des contrées vulnérabilisées ? Qui détient la vérité, entre les économistes marchands, et les légendes ou croyances et mythes : la porosité entre la vérité prétendue de l'histoire et sa version métamorphosée par les couches de récits successifs, rend incertaine la limite. La légende peut avoir des vertus prophétiques, et conduire ses auditeurs à proposer diverses interprétations (dans Le Procès, Kafka avait fait se succéder des compréhensions variées de l'Apologue de la Porte de le Loi). Un village ne saurait vivre à l'abri des vicissitudes du temps : ici, entre Venise et Byzance, les Ottomans et les Chrétiens, l'Europe et l'Asie. Autres points de rencontre dans le cadre du récit : le conflit entre la nature et la culture, signifiée par la volonté humaine de maîtriser la liberté de la rivière en érigeant un pont solide anéantissant de cette matière des contraintes liées à l'environnement. On retrouve vers la fin du roman une sorte d'incarnation mortifère de cette opposition lorsqu'un cadavre de noyé vient buter sur le corps de l'emmuré du pont. Explicitement, l'auteur oppose les « Aquatiques » et les « Terrestres », comme il le fait pour l'Est et l'Ouest, l'Europe et l'Asie.

    On trouve un questionnement sur l'acceptation du progrès par la population, une fois le pont terminé, il n'est pas emprunté dans les premiers temps jusqu'au jour une première personne s'y risque, puis une autre, et peu à peu, il est intégré au décor quotidien, ce qui permet aux profiteurs mercantiles d'y établir un péage juteux, la puissance publique (le comte) ayant vendu à une société privée ce droit.

    On s'aperçoit donc de la qualité fondamentale de ce roman : rien de lourd pour conduire le lecteur à faire un pont métaphorique entre hier et aujourd'hui, mais tous les éléments sont distribués habilement pour nous inviter à réfléchir, avec la distance permise par le passage par la fiction, entre le monde des légendes et notre monde réel, sur le fonctionnement de notre époque, soumise à l'économie, aux guerres, aux luttes territoriales et religieuses.

     

    Une citation  (p .112) :

    « Dans la clarté lunaire d'une de ces nuits d 'avril, en passant sur la rive, je tombai par hasard sur le maître d’œuvre. Il y avait longtemps que je ne l'avais vu . Nous échangeâmes quelques propos fort vains, sans contenu, légers comme des plumes tournoyant au gré du vent. Tandis que nous causions ainsi, j'eus subitement une envie folle de le saisir par le col de sa pèlerine, de le coller au pilier du po,t et de lui crier en pleine figure : cet ordre nouveau dont tu me parlais un jour, cet ordre à vous, de banques et d'intérêts, qui devrait soit-disant faire progresser le monde d'un millénaire, est baigné de sang à ses fondements tout comme l'ordre barbare d'antan, comme l'ordre esclavagiste, comme l'ordre actuel des princes et des seigneurs, à cette différence près que ce sang coule dans des comptes et dans des chiffres ! Vos comptes sont des plaies terribles en regard desquelles les entailles causées par les lances et les haches font figure d'écorchures d'enfants. Malheureux est le monde qui vous a engendrés ! »


  • Chef d'oeuvre... je m'arrête... Beauté l’œil allume.

    Finesse des dessins, des couleurs, des volumes.

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  • Mes amis, vous dis-je suffisamment merci?

    Vous m'êtes précieux, par vous ma vie s'embellit.


  • Mais vous vous gourez les copines, ça va pas!

     

    C'est l'une ou l'astre

    Vous n'êtes pas des tournelunes, non mais quoi!