• Un classique ? Oui, à coup sûr, un chef d’œuvre, ? Voire…

    Un voyageur est toujours en train (jeu de mots facile mais que l'on trouve dans le roman bas p. 245, haut p.246, lors d'un passage à niveau relevé) de se poser des questions, ou plutôt des questions naissent en cours de rails, en particulier sur une décision qui s'effiloche peu à peu, avec une habileté certaine de l'auteur qui consiste à faire apparaître une toute petite fissure, qui s'élargira progressivement jusqu'à admettre que s'est produite une « modification » (le mot titre éponyme se trouve p.240 sur un Rome-an qui en compte 283. Parmi les critères possibles qui permettent à certains ouvrages de passer à la postérité, le coup d'éclat lors de sa sortie. Ici, le choix de la deuxième personne du pluriel, qui conduirait, selon le petit texte de la p.4 de couverture, à ce phénomène : « c'est vous, le lecteur, qui êtes le personnage principal ». Expérience faite, il n'en est rien. J'y vois plutôt un procédé, qui ne change pas grand-chose à une narration équivalente à la première ou à la troisième personne du singulier. En effet, si je compare avec les romans de Kafka (racontés à la troisième personne), ou la Recherche de Proust, ce sont les mêmes formes d' impressions que j'ai ressenties . Je choisis à dessein ces deux références parce que certains moments narratifs ou descriptifs sont assez voisins du premier nommé : l'obsession des objets, le remâchage continuel et lancinant des mêmes pensées, le délire obsessionnel de l'arrestation que l'on trouve p.242, qui rappelle la dernière page du Procès), l'atmosphère cauchemardesque créée par les visions nocturnes du voyageur, entre rêveries et rêves (p.248 notamment). Quant à Proust, les parallèles sont plus évidents et plus continus : la subtilité psychologique du décorticage de chaque parcelle mentionnée (et non pas de chaque Marcel pensionné), le traitement du temps, où les présents successifs, correspondant aux heures et aux stations qui passent entre Paris et Rome, sont entrelardées d'évocations de bribes du passé ; Butor propose en outre des scènes préfigurées de ce qui pourrait arriver un peu plus tard. Ainsi tout un jeu entre les périodes temporelles se dessine, avec des glissements discrets de l'une à l'autre, ce qui suppose une attention du lecteur soutenue pour rétablir les liens entre ces anecdotes, et peut-être l'empêchera de s'endormir à l'instar (à l'eurostar) du personnage butorien. Proustisme aussi que cette décision d'écrire un livre qui narrerait ce qu'il est en train (déjà fait, gare aux répétitions) de vivre, livre qui n'est autre que celui que nous lisons (à ne pas confondre avec la Lison de La bête humaine). Gide et Sartre ont aussi utilisé ce procédé, devenu commun.

    Quant à s’identifier, à cause de l'emploi du « vous » à ce personnage, je n'y crois aucunement et expérimentalement, j'ai plutôt tendance à ne pas comprendre autrement que par une lâcheté (il le reconnaît) répréhensible de ce lecteur de Julien l'Apostat (comme par hasard, hasard du même ordre que celui qui fait lire Sans Famille au Poulou des Mots), qui abandonne une maîtresse plus jeune, qui l'aime, au profit d'un retour au bercail conjugal avec Henriette dûment son épouse. Cette phrase que j'achève ici donne une idée du type de style de Butor (contamination) : ses phrases se déploient sur des pages parfois, sont remplies d'incidentes, et d'incidentes d'incidentes, qui rappellent aussi le Maître de la Recherche, et contribuent également à maintenir en éveil le lecteur, même si parfois la tentation est grande d'aller directement à la gare suivante. On se rappellera justement le voyage en train du narrateur proustien quand il se rend à Balbec, où la aussi les noms propres de communes traversées rythment la progression du train et du récit. Comme son comparse Robbe-Grillet, Butor accroche le regard de son personnage à tout ce qui lui tombe sous les yeux, depuis les gouttes de pluie , jusqu 'aux images accrochées dans le compartiment, en passant par les décors variés à travers la vitre ou les caractéristiques physiques des autres voyageurs. En les regardant, il se fait romancier de leurs vies, leur imagine des noms, des destinées, des relations, annonce probable de l'appel à la vocation romanesque mentionnée plus haut. Ici également le procédé de mise en abyme n'est pas original, Diderot, et son Jacques, Gide et sa fausse monnaie ne sont pas loin. Dans La Jalousie de son alter ego agronome et ingénieur on trouve également deux pages de commentaires sur le roman issus des personnages A. et Franck. Parmi les passagers du Pari(s)-Rom(anesqu)e, des couples, jeunes ou vieux, qui sont comme une équivalence moderne des représentations des trois âges de la vie, et contribuent à renforcer cette importance de la puissance du temps sur les êtres. De plus la variété des passagers permet aussi de dresser une sorte de comédie humaine enfermée dans ce lieu fixe et mobile qu'est le train : des ecclésiastiques, des militaires, des enfants, des professeurs, des femmes,... Butor souligne aussi les retentissements physiques de l'immobilité qui se traduit par des maux divers, une envie de changer de position, de sortir de l'espace confiné , expérience que nous avons tous connue et qui ne manque pas pour cet aspect au moins de vivre avec « vous » ces gênes (même si c'est à Rome qu'il s'agit d'aller).

    La langueur lectorale est peut- être une réussite, la subtilité est évidente, s'il s'agit par exemple de montrer la permanence des objets, décrits pour leur présence aussi constante que têtue, et le dynamisme lent d'une pensée qui doit à la fois subir les malaises physiques, mentaux, et moraux, qui est parfois maîtrisée et volontariste, parfois soumise aux aléas de la mémoire involontaire, et qui parfois s'échappe, aux moments où le sommeil approche ou transforme la vie consciente en fantasmagories inquiétantes.

    C'est le type du roman qui ne m'enthousiasme pas, mais qui aurait, à coup sûr, beaucoup de ressources à la relecture, et à une étude en vue de cours qu'il faudrait dispenser un jour, si le programme de l'ENS l'imposait et que me revienne l'honneur de les proposer.

    Et, puisque j'aime les formules conclusives brillantes, je termin(us) sur ces mots : livre qu'il faut moins lire qu'avoir lu.


  • Collection d'articles critiques sur la littérature en général, celle dont il a été le contemporain en particulier, avec une subjectivité assumée ; des conceptions bien arrêtées, et des avis parfois liés aux personnalités concrètes des écrivains qu'il admire ou rejette.

    Détestations :

    La critique scientiste, déterministe, explicative, systématique : Taine, Renan, Brunetière et Faguet, ces deux derniers faisant l'objet de portraits au vitriol, dans la fin de l'ouvrage pour leurs comportements (un « cuistre », et son disciple qui « ne se lavait jamais »…). Lanson, qui néglige le critère de l'intensité pour apprécier les œuvres.

    Le Romantisme : les auteurs de cette tendance ne parlent que d'eux, manquent de vision large, universelle et mystique, sont verbeux (trop de strophes dans « Le Lac »…

    L'école parnassienne : Heredia est un « ciseleur de néant », Leconte de Lisle est froid.

    Hugo, qui « n'a jamais appris à penser », qui s'est complu dans le rôle d'opposant à Napoléon III, et aurait pu rentrer en France bien plus tôt.

    Loti, qui, lui aussi, s'est artificiellement créé une figure publique, qui joue à paraître, et donc n'est plus naturel. De plus, il manque de culture, tout comme...

    Zola qui ne sait pas écrire, est le plus souvent illisible, qui étale inutilement la matière, « outrecuidant et borné ».

    Balzac, qui, lui aussi, écrit trop, qui a manqué sa vocation d'homme d'action, pour laquelle il était fait, et non pas écrivain.

    L'Académie Française, qui rend les écrivains dépendants, les ridiculise dans les quêtes de voix et les stérilise une fois qu'ils y sont.

    Remarque : ce résumé est à peine exagéré : les jugements sont incisifs, les portraits sont souvent cruels : Daudet a côtoyé la plupart de ces écrivains, et les anecdotes qu'il rapporte, en particulier dans le dernier chapitre : « Salons et milieux littéraires de 1880 à nos jours » fait la part belle aux petitesses du quotidien, dont il a été le témoin. C'est savoureux et dispensable, si l'on estime que seule compte l’œuvre. On s'apercevra que ces éreintements ne sont pas gratuits, outre la dimension politique qui joue son rôle, les conceptions de la littérature qu'il ne partage avec eux expliquent cet « Enfer » personnel.

     

    Avis mitigés

    Flaubert : « écrivain sonore et habile, mais chez qui l'application ne remplace pas le don naturel absent, ni surtout cette fermeté latine, cette concision, qui limitent les incidentes au nécessaire, cette ductilité grecque qui va, par irradiations successives, au-delà de l'exprimé et qui laisse entendre. »

    Remarque : cette critique est compréhensible, et explicable par l'une des marottes louables de Daudet:les bons écrivains sont ceux dont l'héritage gréco-latin est immédiatement perceptible, dans les caractéristiques signalées ici et sur lesquelles je reviendrai.

    France : « niaiserie ornée », « auteur assez vide, mais agréablement narquois ».

    Sainte-Beuve : est rappelée la trahison de son « ami » Hugo, par épouse interposée ; il avait par ailleurs le mérite de l'érudition, mais manquait de spiritualité.

    Le même reproche est adressé à Montaigne, dont il apprécie le naturel et la spontanéité du style. Pascal viendra plus tard ajouter la dimension spirituelle manquante.

     

    Les auteurs appréciés :

    Alphonse Daudet son père : Léon est un bon fils, qui admire son géniteur pour diverses raisons : filialement, lui avoir permis d'être très tôt en contact avec les lettres antiques, et, littérairement, d'avoir la qualité essentielle pour un écrivain, selon lui, la rigueur.

    Mistral, qu'il apprécie particulièrement, l'auteur dont il parle le plus, et toujours de manière élogieuse, qu’il considère comme le fondateur d'une nouvelle « Pléiade ».

    Maurras, envisagé ici comme écrivain. Des raisons différentes peuvent expliquer aussi la place éminente que Daudet lui accorde. Il n'en est pas question ici. Stylistiquement il l'associe avec Diderot, Michelet, Marot, La Fontaine, tous héritiers de la culture antique.

    Bossuet.

    Les auteurs grecs et latins.

     

    Les critères de qualité des écrivains :

    Daudet valorise les « Humanités », rend grâce à ses maîtres de langues anciennes, aussi bien pour la culture générale que cette compétence fournit : « La culture générale est irremplaçable et il n'y a pas de culture générale sans les humanités. Elles mesurent la justesse de vision d'un historien, au même titre que la justesse d'imagination d'un prosateur, ou d'un poète». L'héritage de la syntaxe grecque est dans l’organisation complexe d'une phrase qui se déploie, la langue latine étant plus concise et allant plus directement au but. Le XVIe français est plus grec que latin, le XVIIe inversement. De plus, la connaissance de l'étymologie rend le style plus efficace. Ces langues offrent en outre l'immense avantage de former le jugement et de donner le sens de l'ordre.

    Remarque : ces belles vérités devraient être lues par certains idéologues et une certaine dame, bientôt partante d'un poste qui lui allait si mal. Je vous renvoie aussi à un extrait que j'ai cité récemment dans « Pensées miennes ».

     

    Regards sur la création, l'écrivain et la réception :

    Daudet apprécie les œuvres en fonction du message qu 'elles véhiculent : l'humanisme étant pour lui une garantie de qualité. Une bonne œuvre est une jonction entre la mémoire de la culture antique apprise (Bourget en roman, et Baudelaire en poésie) et des circonstances particulières à la vie de l'écrivain : l'écrivain de génie précédente, cumule en outre une mémoire héréditaire (un ancrage local notamment : la Provence pour Mistral, la Bretagne pour Chateaubriand), et « un don mental et verbal éminent ». cela est perceptible par le lecteur qui décèle alors « des points de repère intellectuels et sentimentaux », reflets de la personnalité du créateur. La magie littéraire est aussi dans dans le fait que le lecteur se sente penser et ressentir au même rythme que l'écrivain au moment de la création.

    L'écriture peut procéder d'un désir de « délivrance ». Daudet craint qu'un zèle excessif issu du précepte de Boileau (« Vingt fois sur le métier... » n'altère cette part personnelle, et rende invisible au lecteur ce qui fait l'originalité réelle de l'artiste. Inversement, il ne goûte guère les écrivains qui forcent artificiellement leur style, et se composent « une physionomie pour le public », notamment par des excentricités dans leur vie, comme le dandysme. De plus le souci de la réputation peut rendre amer, comme dans le cas de la rivalité entre Goncourt et Zola. Un écrivain n'est pas égal au cours de sa carrière : ainsi il n'y a qu'un bon ouvrage chez Prévost, ou Rétif de la Bretonne.

     

    Quelques propositions de distinctions en matière de littérature :

    Daudet se fait théoricien et propose diverses sortes de classements :

    Il y a la littérature de la soumission et celle de la rébellion.

    Trois facteurs permettent d'établir des familles d'écrivains selon la dominante qu'on trouve dans l’œuvre : la vie organique (Baudelaire), la vie intellectuelle (Goethe, Mistral, Maeterlinck, Maurras), la vie spirituelle (Bossuet, Pascal).

    Trois grands types de romans : ceux de la typification (Flaubert, Daudet, où les personnages ressemblent à des personnes) ; ceux des mœurs (Daudet ou Guerre et Paix) ; ceus xde l'analyse (Richter, Meredith).

    Deux types de style : le spontané (Montaigne) ; l'artificiel (Mallarmé, où le réel a fait l'objet d'une réflexion préalable à l'écriture, et l’écrit donné à lire est ce réel corrigé). Daudet oppose aussi au style incisif (Voltaire) celui de Michelet « à membres et à périodes », plus grec donc.

     

    Quelques filiations et mises en rapport plus ou moins surprenantes :

    Trois Pléiades : celle du XVIe, celle des Romantiques, celle de Mistral.

    Ronsard est à la fois l'héritier de sa culture antique et des troubadours médiévaux, mais il indique le passage de la chevalerie à la galanterie (moins de respect et plus de désir).

    Nietzsche et Lucrèce : point de consolation.

    Les vérités scientifiques passent, les vérités littéraires subsistent.

     

    Conseils aux futurs auteurs :

    Dans l'avant -dernier chapitre (« La vie et l’œuvre de l'écrivain »), Daudet propose une hygiène de vie si l'on veut bien écrire : mener une vie ordinaire, ne pas rechercher l'excentricité ni les drogues Hugo, Baudelaire ont gâté leur talent, Mistral, Goethe, ont eu des vies calmes), s , se choisir une bonne compagne, faire confiance à sa personnalité, se méfier des conseils…

     

    Ce livre de Daudet a le mérite de passer quelque problèmes littéraires à l'examen de son opinion souvent tranchée, parfois évidente, parfois surprenante, parfois contestable. Grâce à ce type de critique subjective, on peut voir naître l'envie d'aller lire des références inconnues ou mal connues qui y sont citées . On se demande également dans quelle mesure les opinions littéraires sont exemptes, ou pas, ou partiellement, d'autres domaines de la pensée et de la vie, comme ici l'influence du père, des options politiques, et aussi le fait d'avoir assisté au quotidien de certains écrivains et d'avoir alors associé la vie et l’œuvre de manière qui peut paraître aujourd'hui exagérée.


  • Je suis sagittaire et fais flèches de tout bois,

    Je poursuis mes ennemis, ils sont aux abois,

    Je décoche pour eux mes traits empoisonnés

    Réagissant à leur triste perversité.

     

    Mais face aux belles, c'est d'elles que je reçois,

    De leurs yeux, de leurs corps, de leurs je ne sais quoi,

    Où se mêlent grâce et beauté, cette attirance

    Irrésistible à ma naïve confiance,

     

    Un message fort peu sage et sentimental,

    Qui touche comme un élan transcendantal.

    Je ne suis plus terrestre, je ne suis plus qu'âme,

    Emmené dans un monde où l'âme parle à l'âme.

     

    Leurs carquois sont emplis de jolis arguments ;

    A leurs envois, cible sensible, je me rends.

    Mais le réveil révèle : ce n'était que rêve.

    Quitté, je ne suis quitte : l'effet ne s'achève.

     

    Elles ne soutiennent ce qu 'elles ont promis,

    Elles écoutent de l'Amour les ennemis.

    Le sagittaire sagitté pleure et déplore,

    Adresse aux vils traîtres, aux cœurs secs, aux pécores,

     

    Réponses acérées aux mensonges honteux ;

    Mais s'extirper de cet état calamiteux

    Est un vœu pour que l'année nouvelle soit belle.

    Quant à l'Amour… Il ne saurait être rebelle.

     

    Si ne peut s'incarner l'inaccessible Muse,

    Demeurent les mots avec lesquels il s'amuse.


  • Râ dieu radieux

    Croire à Râ adieu à Dieu ?

    Où çà ira Râ si on dératise ?

    Où ira Dieu si on débaptise ?

    Sans la foi on est athée,

    Avec elle on est touché

    Au cœur du débat Râ

    L'époux se tait

    On l'appellerait Rê

    Comme Dieu Yahvé deux noms

    De dieux, deux noms de Dieu

    Râ Rê factions

    Dieu Yahvé des veaux si on

    L'adorait de travers

    A dos Râ Sion

    Veaux d'or dorés par Râ

    Râ dora qui l'adora

    Dieu dit eux fidèles odieux

    Râ peut tisser l'étoile

    Où mènera telle de Dieu

    Magie sienne

    Tomber dans le panneau Râ m'a-t-il eu 

    Quand dans la crèche j'ai vu Jésus ?

    Celui qui a cru s'y fiera.

    Ça suffit Râ !


  • Réparer les vivants

    En cette veille de nouvelle rentrée « littéraire » (?) n°2, après celle de septembre, l'occasion se présente, à partir d'un succès récent, de s'interroger sur la fabrication d'une réussite commerciale.

    Recette pour obtenir des prix « littéraires » (?) :

    - Emparez-vous d'un phénomène qui fait débat, qui ouvre à la réflexion, qui fait l'objet de lois pour réglementer des pratiques que les progrès de la science ont rendu possibles : ici le don d'organes, l'état de mort cérébrale : qu'est-ce que la vie ? Qu'est-ce qu'un corps ? Décider si oui ou non … ?

    - Trouvez une méthode narrative qui donnera l'impression d'être au plus près du vécu, un ton, un style qui feront se pâmer les bourgeoises quadragénaires ; mais n'hésitez pas à emprunter à des plumes reconnues leurs caractéristiques, et malaxez pour obtenir une pâte lisse :

    à Sarraute les sous-conversations,

    à Balzac la typisation, et la description précise de lieux existants et nommés,

    à Stendhal le réalisme subjectif,

    à Céline le mélange entre le cru et le poétique, le trivial et le méditatif,

    à Proust les réminiscences et le suivi scrupuleux des méandres de la pensée,

    à Aragon ses ouvertures de chapitre par un « il »ou un « elle » mystérieux, dont nous n'apprendrons l'identité que quelques lignes plus bas.

    Pour faire moderne, refusez la stylisation (qui est une autre façon d'en faire une) : ne craignez pas les phrases sans verbe, les verbes sans sujet, surtout n'utilisez pas de guillemets, ne reculez pas devant les jurons, les mots anglais, les noms de marques, les scènes de sexe crues : pas de détours, nommez les choses par leur nom, de même pour les scènes médicales, en particulier lors de la dissection. Multipliez les images en tâchant de les rendre originales, passez de phrases très courtes à des phrases très longues, de moments les plus ordinaires (pour ouvrir une porte il faut actionner une poignée), à des moments baroques, comme le lancer de pizzas, ou l'achat d'un chardonneret. Faites la part des intimités, attribuez à chaque personnage (que vous traiterez de manière égale, la mode étant au choral) un tic, un trait particulier, une passion, ce qui vous permettra des détours psychologiques étonnants : décortiquez les âmes comme les corps.

    Ces romans modernes sont visiblement influencés par le cinéma : ou l'auteur pense cinéma en écrivant et « cinémise » son écriture, ou il anticipe sur l'adaptation et les droits afférents : p.118 « Arrivée dans la petite cuisine, elle prit dans un placard un paquet de gaufrettes à la framboise, décolleta le papier qui crissait comme de la soie sous ses petits doigts voraces, in extenso, et lentement le boulotta . » Passionnant non ?

    Mais on peut tout pardonner à un auteur qui cite Bashung...

     

    Je lance le prochain sujet qui fera l'objet du roman et du film qui seront des succès certains. Puisque le législateur s'empare de nos vies privées qui ne le sont plus guère, et réglemente les relations interindividuelles en ouvrant nos portes, en soulevant nos couvertures, en nous disant « Fais pas ci, fais pas ça. » ou tu seras verbalisé, vilain garçon, je propose un débat sur la fessée dont voici le pitch : un enfant de trois ans se rend au commissariat de police (de peau rougie en lot-cul-rance) : « Papa panpan cucu ». Pinpon pinpon. Dring. Papa où t'es ? Papa où t'es ? Pan papa Pan pan, t'as tapé, pas bien, t'es puni. »






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