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    Par Hixache dans Journal le 10 Mars 2016 à 10:26

    Non non ce titre n'est pas le nom d'un couple clownesque, Laurel et Hardy d'une autre ère. Non ce sont mes lectures de ces jours derniers.

    Le roman de Balzac Gobseck représente bien l'art qu'on lui connaît même si la part des descriptions est assez réduite ici. Balzac excelle à raconter par le biais de personnages témoins le cœur de narration, ici la vie du protagoniste éponyme, qui garde ainsi une part de mystère à cause de certaines incompréhensions que ses actes ou sa façon de vivre suscitent. Mystère de l'altérité. Cette technique permet aussi de superposer des époques, et donc de briser une linéarité chronologique, en ménageant l'intérêt quant aux suites de ce qui est raconté: le narrateur personnage (image du romancier interne au roman) est censé connaître le destin de Gobseck, ses interlocuteurs (image des lecteurs) dépendent de son bon vouloir, de sa connaissance des données, Entre les deux un univers partagé: ils connaissent  les tiers personnages, certains éléments de leur vie, comme nous lecteurs de Balzac, retrouvons des noms et des circonstances dont nous avons souvenir, depuis notre lecture du Père Goriot en particulier.

    Ce roman est aussi intéressant d'un point de vue documentaire, sur les pratiques sociales et financières de la bourgeoisie et d'une certaine noblesse parisiennes dans la première moitié du XIXe siècle, et les économistes trouveront là une mine d'or pour étudier la circulation de l'argent et de ses avatars.

    Les psychologues y trouveront un portrait d'homme difficile à saisir, dont les troubles, accentués avec l'âge, pourront être expliqués par les psychanalystes  à coup sûr.  

     

    Molloy,  le roman de Beckett, est bâti sur ce schéma aussi, mais selon d'autres modalités: la première partie du roman est un flux de conscience qui permet de montrer une vision du monde particulière, émanant d'un esprit trouble. Molloy est proche de personnages désenchantés, auxquels le monde échappe, et pas seulement le monde, mais l'instrument pour le saisir aussi: le langage, souvent remis en question, et la confiance à accorder à la mémoire également. La quête est incertaine: retrouver la mère, se comprendre? Les frères en littérature de Molloy s'appellent K ou Bardamu. 

    La deuxième partie du roman (que je viens d'entamer) change le point de vue et Molloy devient celui dont on parle. Je crains que cette deuxième partie ne fasse perdre de la  force au monologue de la première partie, en étant trop explicative. Mais elle a le mérite de mettre en situation la relation d'un père et d'un fils et nul doute que le talent de Beckett me permettra de cerner sa nécessité. 

    Je ne manquerai pas de vous dire ce que j'en ai pensé, ma lecture achevée.

    Molloy II

    Par Hixache dans Journal le 11 Mars 2016 à 10:23

    Réflexions disparates après l'achèvement de la lecture:

    On trouve dans la deuxième partie de Molloy de nombreux éléments communs à la première: la quête, la perte, la dégradation, la dépossession, le corps souffrant diminué et supporté; l'indécision entre le fait vécu et le fait rêvé, la transfiguration ou la métamorphose quand le souvenir s'en mêle, la pensée qui se déroule, l'écrivain- narrateur qui s'arrête et commente ce qu'il vient d'écrire.

    L'intérêt pour le lecteur n'est évidemment pas dans le déroulement d'une aventure active, le voyage s'effectue moins dans l'espace que dans l'esprit. Jacques Moran devient peu à peu un autre Molloy, quand sa quête devient l'objet de sa quête: l'un semble vouloir retrouver une mère lointaine, l'autre un fils disparu, odyssées dérisoires, sordides et cruelles.

    Avoir, recevoir, se donner un objectif, et ne pas l'atteindre; être en butte à toutes les hostilités: les autres, qui imposent leur présence encombrante, le monde, sa météorologie, son cycle temporel, ses objets, ceux que l'on a, ceux que l'on perd, ceux dont on n'a besoin, et qui s'abîment, et aussi être son propre ennemi. 


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    Par Hixache dans Journal le 15 Mars 2016 à 21:10

    Un Mauriac tout ce qu'il y a de plus Mauriac: des monologues intérieurs, des dialogues, des relations humaines diverses (sentimentales, familiales, ...). Parmi ces dernières, comme dans Molloy  2e partie, les rapports entre un père et son fils.On peut comprendre les reproches de Sartre face à une narration omnisciente dans laquelle le narrateur glisse à son bon vouloir dans la conscience de tel ou tel personnage ou domine l'ensemble. Les dialogues sont écrits tellement littérairement qu'ils en deviennent invraisemblables. Mais après tout le romancier est libre dans les modalités de la fiction, et je ne vois pas pourquoi l'éloignement du quotidien devrait être un défaut.

    Beaucoup de tension, d'amertume, de peine. L'analyse psychologique est fine. Cependant je m'interroge sur la manière dont la jeunesse d'aujourd'hui peut recevoir ce type de romans, qui doit leur sembler aussi éloigné que La Princesse de Clèves. Mais ne lit-on pas pour découvrir d'autres mondes? 

    J'extrais trois phrases qui me semblent d'une grande justesse: "Qui de nous possède la science de faire tenir en quelques paroles notre monde intérieur? Comment détacher de ce fleuve mouvant telle sensation et non telle autre? On ne peut rien dire dès qu'on ne peut tout dire."


  • Par Hixache dans infra-littérature le 23 Février 2016 à 17:02

    Dans le cadre d'une revue étudiante, et d'un concours (voir ci-dessous), je me suis exercé à la critique littéraire. J'ai encadré de considérations complémentaires ma proposition destinée au concours.

    Si j'ai assez de patience et de courage je m'attaquerai bientôt à Zoé, d'Alain Cadéo, du même tonneau.

    Une économie de 19, 50€

    Pour éviter de passer à côté de chefs-d’œuvre d’aujourd’hui, ceux du passé ayant été préalablement triés et à notre disposition, il est bon de temps en temps d’extraire de l’abondante liste des titres dont la presse plus ou moins spécialisée se fait le relais, tel ou tel livre. C’est ainsi que, poussé par l’occasion (un concours Télérama France-Culture), une sollicitation familiale, et l’espoir vain de déceler une perle dans l’océan, je me suis mis à lire La vie est brève et le désir sans fin, de M. Patrick Lapeyre, publié chez P.O.L. comme le nombre de signes était limité pour le compte rendu critique demandé, et que mon irritation était prolixe, j’ai dû me contenter de l’article suivant, que je reproduis ici, n’ayant aucune chance de le voir publié dans mon cher Télérama, une des récompenses promises aux deux vainqueurs, l’autre étant de faire partie d’un jury qui accordera un prix littéraire pour des romans de 2011 :

    Nora Neville fait perdre le nord à un Français et à un Américain résidant à Londres : un coup de ce côté de la Manche, un coup de l’autre. Comme l’auteur a baptisé son personnage principal Louis Blériot, le lecteur a envie de rire ; mais ce roman n’est pas drôle.

    Comme son héroïne, l’auteur est tiraillé , entre narration classique et parti pris moderniste.

    A la première tendance se rattache notamment le goût de la psychologie : pensées, arrière-pensées, songes, méditations, rêves sont décrits par le menu avec une proximité immédiate et transparente ; les protagonistes sont typiques, prévisibles, fidèles à eux-mêmes jusque dans leurs infidélités : un traducteur raté, vivant dans la passivité méditative et alcoolisée, contraint de quémander (il fallait bien que Blériot fît la manche), un trader vieux garçon, vaguement religieux, et une instable : Nora par-ci, Nora par-là, nul doute qu’elle repassera tant elle court. Et des réunions mondaines, des déplacements, des repas…

    Le modernisme se marque dans certains procédés stylistiques : surtout pas de guillemets (mais les indicateurs attitudinaux banals sont bien là), un traitement temporel élastique, mais pourvu de repères pour aider le lecteur, un usage constant du présent (on est toujours « maintenant »), un mélange entre des négligences de style et des tournures élaborées, faussement poétiques.

    Et un abus d’adjectifs et d’adverbes, des tirets incessants, des comparaisons inutiles qui permettent toutes les approximations (« comme si », « on croirait », « à la manière de », « on dirait que » …).

    On n’y croit pas, ce qui pourrait ne pas être un défaut si l’écriture était forte, la construction habile, la narration prenante, la vision du monde originale ; au lieu de cela : «la moindre culotte est faite à l’étoffe des rêves », « on croirait une réunion de Lapons dans l’embarras », ou « Mais quelque part il aime ça »).

    Bref, roman trop petit pour son titre, dont le côté prétentieux aurait dû cependant nous alerter.

     

     Il est vrai que ma fréquentation des grands textes, mon goût classique, et mon exigence naturelle me poussent à repérer très vite et très nettement les failles et les insuffisances ; je crois qu’ici un sommet a été atteint, dans la prétention et l’approximation. Comme les formules à l’emporte-pièce sont légion, je ne peux résister à la tentation de vous en donner en prime d’autres, qui soulignent le vide de la pensée, et du sens de l’écriture :

    -          « Encore qu’en maillot de bain, il soit assez difficile de se faire une idée de la vie intérieure des gens. », phrase dont la construction grammaticale ne correspond pas au sens que l’auteur avait voulu probablement lui donner. En effet je pense que M.Lapeyre a voulu dire qu’il est difficile de se faire une idée de ce que pensent les baigneurs eu égard à leur tenue, mais exprimée ainsi cette phrase dit : quand on est simplement vêtu d’un maillot de bain, on ne peut connaître la pensée des gens.

    -          Des fautes : « Répondra-t-elle pas ? » ; « Passé la surprise, … » ; des tours et des vocables à la mode : « quelque part », « en fait », « improbable »,  « elles hallucinaient », qui sont déjà agaçants à l’oral, mais employés sciemment dans la cadre de la narration sont aussi indigestes qu’une semoule qui aurait mal passé l’hiver (pastiche lapeyrien, … pour attendre).

    -          Une autre comparaison ridicule et lourde (parmi cent) sur le mode : « aussi+ adverbe+ que + comparaison : « … aussi instantanément que si dans une vie antérieure il avait été prestidigitateur. » Pour l’élégance, la finesse, et l’évocation de la rapidité, on repassera. Ou bien : « … aussi inopinément que si dans un parc zoologique il avait été dompteur » ; avec un adjectif : « aussi animé que le désert de Gobi », «  … lui paraît aussi interminable qu’un trottoir roulant », et pourquoi pas « aussi stable qu’une chaise » ?

    -          Les « à la manière de », « comme si », « lui semble plus …  que … », « on croirait … », « a l’air de … » du genre « ce livre me plaît moins qu’une charlotte à la framboise » permettent toutes les approximations. On trouve par exemple –et cette fois je n’invente pas- «  à la manière d’une paysanne russe filmée par Eisenstein », ou bien « à la manière d’une puce électronique », « … d’un ectoplasme en suspension », et pourquoi pas : « à la manière d’un pou soviétique vu de dessous » ? (il m’inspire, le bougre !)

    -          Comme l’époque le veut, nous avons droit à des scènes de lit à l’érotisme convenu, à des tendances homosexuelles aussi bien  chez l’une que chez un ami de l’autre ;  à  des accusations contre les patrons, forcément des « scélérats », mais dans le cadre d’une image qui vaut son pesant de ridicule : « Selon toute apparence, l’été aussi est définitivement parti, comme ces patrons scélérats qui mettent la clef sous la porte pour filer sous les tropiques ». C’est là le paragraphe-type de l’ouvrage ; on y appréciera l’audace politique, et la justesse de la comparaison.

    -          Et l’on marche dans les rues, on mange au restaurant, on roule en voiture, on discute, on va à la piscine, à l’hôtel, à la plage, on dort dans un lit, on va voir sa maîtresse… N’est pas Flaubert ou Aragon qui veut pour savoir donner de l’intérêt à ces moments de vie : ici la platitude le dispute à la niaiserie.

    -          Pour paraître cultivé, l’auteur fait des références à des artistes (Duchamp, Pirandello, Calvino, Picabia, …), use de mots savants nullement justifiés : « surérogatoire », « pélagismes », « natatoires », « mnémoniques », « mandibuleux », … Pédant, en plus…

     

    Expérience douloureuse fut donc cette lecture superfétatoire, aussi pénible que de tomber dans un bac de granulés pour chien claudicant et diarrhéique, qu’aurait peint Donatello, avec un pinceau aussi effilé que la moustache de la Joconde revue par Duchamp. Mais il faut absolument que je cesse : je suis en train de me lapeyriser ; on ne pourrait plus dire alors : « Lapeyre, … »


  • Par Hixache dans Journal le 16 Mars 2016 à 21:22

    En cours: les Lais (pas youkou, les lais!) de Marie ... de France. Une dose de lai tous les jours, cela ravit Goths, et fait s'exprimer l'éléphanteau coloré (il barrit au lai). Je deviens entêté de ces lais. 

    Bon trêve de plaisanterie (au lai), j' y trouve une halte de fraîcheur dans un monde décidément hystérique et violent.

    J'y reviendrai... 

    Par Hixache dans Journal le 21 Mars 2016 à 11:32

    Charmants charmants les beaux lais de Marie de  France

    Monde de rêves, rêves de mondes où Providence

    Veille sur les amants épris, chasse les menaces,

    Les amoureux éprouvés, blessés, ne se lassent.

    Sont honnis, punis, par Marie vilipendés,

    Les jaloux, dans les lois de la société,

    Englués. Dans le monde de la poétesse

    Est condamnée la condamnable petitesse.

    Le légitime l’emporte sur le légal.

    En le sentiment chacun de l’autre est l’égal.

    Et si les amants unis le déduit tranquilles

    Veulent goûter, Avallon de l’exil est l’île. 

     

    Après ces quelques vers en hommage à Dame Marie de France, qui nous permet de nous plonger dans cet univers où les animaux parlent, se métamorphosent, où l'on fréquente les tournois, les cours, les chevaliers vaillants, les demoiselles accortes, où les secrets sont sacrés, où l'évidence de l'amour l'emporte sur toute autre considération, je cite quelques vers de Lanval (non sans clins d’œil autobiographiques): 

    "Il l'esgarda, si la vit bele

    Amurs le point de l'estencele 

    Ki sun quor alume et esprent." (v.117 à 119)

     

    "Reis, j'ai amé un tuen vassal

    Veez le ci: ceo est Lanval

    Acheisunez fu en ta curt.

    Ne vuil mie qu'a mal li turt

    De ceo qu'il dist, ceo saches tu

    Que la reïne ad tort eü. " (v.615 à 620)


  • Je replace ici deux comptes rendus de mes impressions de lecture. Comme je n'ai pas de titre approprié, je me contente d'aligner le nom des deux auteurs. Ce qui donne ironiquement... je vous laisse en juger.

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